La fresque « Isaac de Dampierre », créée en juin 2022, raconte et met en valeur le patrimoine juif médiéval de Dampierre en révélant la figure d’Isaac de Dampierre, personnage historique phare de la communauté juive de l’époque des comtes de Champagne au XIIe siècle.
Cette fresque est la première d’un futur circuit de slowtourisme, qui sera enrichi dès 2023 avec la création de deux autres fresques à Ramerupt et Lhuître, puis d’une vingtaine d’autres dans les villages de l’Aube. L’écrit, fruit du travail intellectuel que nous ont légué les Sages de Champagne, constitue le fil conducteur du « Circuit Fresques ».
Originale dans sa conception, cette initiative engagée donne un coup de projecteur à des communes rurales autour d’un projet collaboratif historique, artistique, culturel, touristique et citoyen inattendu, rassembleur autour de valeurs fortes : partage, ouverture intellectuelle, curiosité artistique, lutte contre les stéréotypes, le racisme et l’antisémitisme.
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Quels sont les éléments constitutifs de cette fresque?
Le patrimoine juif médiéval de Champagne est largement immatériel. Pourtant les commentaires de Rachi -personnage phare de la pensée juive médiévale- et de ses disciples, les Tossafistes (commentateurs de l’Ecole de Rachi), sur la Bible et le Talmud sont encore étudiés dans le monde entier. L’étude et la compréhension des textes sacrés et leur transmission par les érudits ont marqué l’histoire.
Aussi, le « Parcours Rachi » porté par la Route Médiévale de Rachi en Champagne s’appuie sur ces personnages historiques installés dans des communautés locales qui constituèrent un terrain propice à la rencontre entre communautés juives et chrétiennes partageant un quotidien commun. Leur créativité put s’y épanouir pour donner naissance à des écrits qui restent des références aujourd’hui.
Rencontre entre hébreu et champenois, entre judaïsme et Champagne
Pour exprimer ces échanges quotidiens et familiers, chaque fresque contient un commentaire biblique ou talmudique en hébreu, traduit en français. Ces commentaires comportent de très nombreux témoignages de la vie locale de l’époque.
Le français médiéval était la langue maternelle des juifs champenois. Ils utilisaient l’hébreu pour l’étude des textes sacrés et y inséraient des mots en français dans leurs commentaires pour en faciliter la compréhension de leurs lecteurs et disciples.
Ainsi, au travers de leurs commentaires, le français médiéval a traversé les frontières et les siècles pour devenir un témoignage majeur des prémices de notre langue. Ces mots constituent parfois les plus anciens exemples de termes transcrits en ancien français et figurent dans de nombreux dictionnaires.
Pour illustrer à la fois cette transmission de l’histoire et de la langue, le commentaire choisi pour la fresque de Dampierre porte sur le verset 28.22 du Deutéronome : « L’Éternel te frappera de consomption, de fièvre chaude, d’inflammations de toute nature, de sécheresse et de jaunissement, qui te poursuivront jusqu’à ce que tu succombes ».
Ce commentaire de Rachi décrit une situation de sécheresse avec l’utilisation du mot champenois hasle qui apparaît transcrit en caractères hébraïques dans le texte comme suit : « La sécheresse est le Vent d’Est, qu’on appelle hasle dans notre langue ».
La traduction du commentaire est une adaptation de plusieurs sources qui a permis de rendre la lecture et la compréhension plus fluide.
Le mot hasle, parfois présenté comme haslide a été retenu par le comité scientifique selon la nouvelle édition des Mikraot Gedolot Haketer.
« La sécheresse est le vent d’Est qu’on appelle hasle dans notre langue. »
Ce commentaire confirme le lien entre le quotidien médiéval en Champagne -ici la fresque représente le travail des champs dans la région de Dampierre- et l’étude du texte biblique. De nombreuses recherches ont été effectuées sur les commentaires d’Isaac de Dampierre sur le Talmud et ses responsa sans trouver de commentaire plus explicite que celui de Rachi qui s’avère le meilleur témoin de cette « rencontre ».
Qui est Isaac de Dampierre ?
Isaac de Dampierre (1110/1115 – après 1184 probablement vers 1189) est un immense érudit champenois de l’Ecole des Tossafistes. Il est l’arrière-petit-fils de Rachi (1040-1105) par sa mère, Hannah, fille de Yochebed, l’une des trois filles du célèbre exégète. Par son père, Samuel, il est le petit-fils du non moins célèbre exégète et ami de Rachi, Simha de Vitry (Vitry-en-Perthois aujourd’hui disparu, à proximité de Vitry-le-François).
Successeur de ses oncles maternels Samuel fils de Meir (Rachbam) et Jacob fils de Méir (Rabbenou Tam) de Ramerupt, il reprend le flambeau de l’Ecole à Dampierre et devient un commentateur extrêmement important, cité régulièrement par ses successeurs. Sa vie entière, il s’attèle à commenter le Talmud pour lequel il met au point une méthode d’amendement qui lui survivra. Il est également l’auteur de nombreux responsa (échanges épistolaires qui font autorité sur des questions de pratique religieuse notamment).
Chef de file des Tossafistes, il forme de nombreux disciples parmi lesquels son fils Elhanan, son successeur pressenti, qui meurt prématurément en martyr selon des circonstances inconnues en 1184. Samson de Sens est un autre de ses disciples éminents qui deviendra le chef de file des Tossafistes après lui, depuis la ville de Sens. Enfin, le frère de Samson, Rabbi Isaac fils d’Abraham et Rabbi Judah de Paris ( ?-1224), connu sous le nom de Sire Léon de Paris, comptent parmi ses meilleurs disciples. Après Samson, Rabbi Judah reprendra le flambeau de l’école des Tossafistes à Paris. Il est l’arrière-arrière-arrière-petit-fils de Rachi.
Un autre érudit s’illustrera alors à Dampierre parmi les élèves d’Isaac de Dampierre, lui aussi nommé Isaac fils d’Acher. Pour les différencier, l’un est appelé Isaac l’Ancien et le second Isaac le Jeune, disciple provenant de Rhénanie (Spire). Isaac l’Ancien fils de Samuel, est aussi connu sous le nom de RI, initiales de Rabbi Isaac.
Sur la fresque, son épouse (dont on ignore le prénom), parfois citée dans ses responsa, est représentée à sa gauche, accompagnée des disciples d’Isaac de Dampierre. Elle est également l’arrière-arrière-petite-fille de Rachi, par sa fille aînée Myriam, sœur de Yochebed.
La narration de la fresque de Dampierre
La région de Dampierre est historiquement une région agricole, terre de blés, de vigne et d’élevage. C’est la raison pour laquelle il a été choisi de représenter ces symboles forts de l’identité locale sur la fresque.
Au Moyen Âge, Dampierre était une seigneurie du comté de Champagne. Pour rappel, l’œuvre présente le blason de la cité au XIIe siècle.
Au centre se tient Isaac de Dampierre étudiant la Torah. Autour de lui, figurent quatre images fortes de sa vie à Dampierre :
- Le village de Dampierre où les paysans s’adonnent à leurs occupations
- Le château et l’église dans leur forme médiévale devant lesquels un berger rappelle ceux qui parcouraient jadis la plaine de Champagne
- A la droite de Rabbi Isaac, ses deux ancêtres prestigieux, Rachi et Simha de Vitry
- A sa gauche, ses disciples et sa femme
Les cinq cercles bleus qui entourent le personnage principal, nomment les cinq livres de la Torah (Pentateuque).
Au pied de l’œuvre, les cultures typiques de la région, la vigne et le blé représentent également les symboles des fruits d’Israël apparaissant dans la Bible. Sur le bandeau supérieur de l’œuvre, l’étoile de David est en regard du blason de Dampierre. Même si l’étoile n’est pas d’usage à l’époque, ces deux éléments ont été choisis pour symboliser la rencontre entre le judaïsme et la terre de Champagne. Ce blason « de gueules à deux léopards d’or » (deux léopards jaunes sur fond rouge) est d’usage à Dampierre partir de 1224. Deux autres blasons l’ont précédé depuis la seconde moitié du XIIe siècle, mais le comité scientifique a fait le choix de retenir le dernier, identifié comme le blason historique de Dampierre.
Rabbi Isaac a pris le visage du père de l’artiste, décédé l’année précédente.
Les origines du projet fresques
Depuis 2019, la Champagne fait partie de la Route du patrimoine juif, Itinéraire Culturel du Conseil de l’Europe, en tant que berceau d’un patrimoine immatériel universellement connu et reconnu. La Route Médiévale de Rachi en Champagne a pour mission de faire rayonner la mémoire juive du département de l’Aube, patrimoine culturel d’une valeur inestimable partagé par les Juifs du monde entier et patrimoine historique d’un territoire de tout premier plan – l’ancien Comté de Champagne – au rayonnement national et international. Il ne subsiste pourtant aucun vestige physique des lieux de vie de ces communautés. Mais les noms de leurs représentants ont traversé les siècles et les frontières et sont mondialement connus sous le terme des « Sages de Champagne ». Les plus connus ont résidé à Ramerupt et Dampierre, deux communes de la Communauté de Communes d’Arcis-Mailly-Ramerupt (CCAMR) située au nord de l’Aube, ce qui explique l’emplacement de cette première fresque.
L’esprit du projet fresque
Dans un contexte de patrimoine immatériel, l’idée d’illustrer le patrimoine juif médiéval de l’Aube par le biais d’œuvres artistiques pérennes, gratuites, ouvertes à tous, a pour objectif de rendre ce pan de l’histoire locale accessible au grand public pour permettre, outre la découverte de l’histoire de l’Aube, une meilleure compréhension du patrimoine juif et de la culture juive de manière informelle, en croisant art et patrimoine historique de façon ludique.
Dans ce cadre, ce futur circuit de slowtourisme prend tout son sens d’un point de vue touristique et culturel en même temps que dans une logique de valorisation du territoire en particulier de zones en déficit touristique.
Ce projet gratuit et destiné à tous les publics, habitants comme touristes, est largement inclusif autour d’une histoire locale oubliée. En impliquant les habitants et en particulier les publics scolaires dans sa réalisation au travers de nombreux ateliers, il a œuvré à faire reconnaitre ce patrimoine local majeur et à lutter contre l’antisémitisme.
Le rôle du Conseil Scientifique de la Route médiévale de Rachi en Champagne
Le travail de narration de la fresque a été proposé par CulturistiQ Laboratoire Culturel et encadré le Conseil scientifique de la Route médiévale de Rachi en Champagne, constitué d’une équipe de chercheurs d’excellence :
- Arnaud Baudin, Directeur adjoint des Archives et du Patrimoine de l’Aube, Docteur en histoire médiévale
- Marc-Alain Ouaknin, Rabbin, écrivain et professeur de philosophie et littérature comparée à l’Université Bar-Ilan (Israël)
- Pinchas Roth, Professeur d’histoire juive médiévale, Département Talmud à l’Université de Bar Ilan, spécialiste d’Isaac de Dampierre
- Danièle Sansy, Maîtresse de conférence en histoire médiévale à l’Université Le Havre Normandie
L’équipe a été accompagnée ponctuellement par Judith Kogel, directrice de recherches à l’IRHT (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes), et les professeurs Rami Reiner (Université Ben Gourion) et Claire Soussen (Université Boulogne Côte d’Opale et Directrice de la Nouvelle Gallia Judaica)
Les membres du groupe de travail ont validé la narration proposée par la Route médiévale de Rachi en Champagne sur le thème de la « Mémoire des Sages de Champagne » qui s’est articulée autour d’une rencontre entre symbolique champenoise médiévale et symbolique du patrimoine et de l’histoire juive locale. L’expertise du conseil scientifique a été particulièrement sollicitée pour la cohérence des détails historiques et de la symbolique, ainsi que la validation des choix linguistiques figurant sur la fresque.
La fresque de Dampierre. Une rencontre entre art et histoire
La maquette de la fresque de Dampierre a été réalisée par un artiste local, Jean-Philippe LEDIT. Il a été lauréat d’un Appel à projet artistique lancé en octobre 2021 par la Communauté de Communes Arcis-Mailly-Ramerupt. Ses choix de composition ont été guidés par un cahier des charges précis.
Jean-Philippe LEDIT, artiste et maçon spécialisé dans les monuments historiques, s’est formé à la fresque en 2016 à Troyes (avec Jean-Jacques JOLINON) et en 2017 à Paris, à l’ESAA Duperré (avec Isabelle BONZOM). Après quelques chantiers avec les Passeurs de Fresques, Il a créé les deux maquettes des fresques du chemin des Viennes dans l’agglomération troyenne, environ 10m² chacune. Il a également encadré, dans deux projets Erasmus+, l’animation d’une fresque à Amiens avec un architecte Japonais Kinya MARUYAMA et 12 jeunes européens, une fresque de 15m² en juin 2021, et en septembre 2021, la réalisation d’une fresque de 45m2 dans une ville historique polonaise, Opole.
Jean-Philippe Ledit anime également des ateliers d’initiations scolaires à la fresque sur briques ou carreaux en encadrant le travail des jeunes sur des façades comme le collège de la Villeneuve (Saint-André-les-Vergers), le lycée Val Moré (Bar-sur-Seine) ou bien encore le collège Max Hutin (Bouilly), ainsi que le parcours de mini fresques des Viennes.
La réalisation de la fresque a été confiée à l’association auboise « Les Passeurs de fresques ». Les bénévoles utilisent cet art antique qui est une technique de peinture sur un enduit frais constitué de chaux aérienne et de sable de rivière. Les couleurs appliquées sont des pigments naturels, compatibles avec la chaux, simplement délayés dans l’eau.
Comment se réalise une fresque ?
Une fois la maquette de la fresque réalisée par l’artiste, les fresquistes l’agrandissent à l’échelle. Le calque plastique utilisé pour cette opération est ensuite positionné sur le mur préalablement préparé et permet d’apposer le tracé, puis au fur et à mesure les pigments souhaités. Une opération pour un chantier tel que la fresque de Dampierre nécessite cinq jours pleins de travail sur site, sans compter les travaux préalables d’agrandissement de la maquette et le choix des couleurs.
Pour plus d’informations : http://lespasseursdefresques.fr/
Le chantier de la fresque de Dampierre
Les communes de Ramerupt et Dampierre sont connues par les talmudistes du monde entier du fait du rayonnement de l’Ecole de Rachi au XIIe siècle. D’un point de vue historique, de nombreux témoignages sur les personnages clés, leurs activités, leur vie quotidienne, sont consultables et exploitables dans leurs commentaires et responsa. Ce qui privilégie ces deux communes avant les 25 autres de l’ancien comté de Champagne ayant abrité des communautés juives médiévales, comme des sites majeurs du judaïsme français. La commune de Dampierre a montré un vif intérêt à revaloriser son patrimoine médiéval et s’est portée candidate à la réalisation de la première fresque du futur circuit.
La chaux est un matériau vivant qui s’adapte mieux à un mur en brique sain. Celui de la Mairie de la commune répondant à ces critères a paru idéal au groupe de travail. Le choix d’une fresque de grande dimension (3 mètres sur 3 mètres), visible gratuitement depuis la voirie communale a fait l’unanimité.
Dans la perspective de la réalisation de la fresque, la commune a réalisé des aménagements paysagers devant le bâtiment municipal au printemps 2022. La présence d’une dizaine de bénévoles a été nécessaire pour réaliser la fresque in situ. Les fresquistes étaient hébergés par la commune pendant toute la durée du chantier. Le chantier s’est déroulé du 30 mai au 3 juin 2022. Après la pose de deux couches de chaux, le travail de report du dessin puis la phase de colorisation de l’œuvre a pu commencer à l’aide d’un échafaudage posé par la municipalité.
Les partenaires du projet
Le projet a retenu l’attention d’institutions publiques et privées qui ont soutenu la création de la fresque.
Au travers du concours d’Idées 2021 organisé par l’Agence départementale de tourisme de l’Aube et de l’appui du Conseil départemental de l’Aube, l’engagement de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la Fondation du Judaïsme Français et de la DILCRAH est significatif d’une reconnaissance historique, civique et pédagogique du projet.